Face à la guerre, l’action soutenue d’une sénatrice de la Nièvre en faveur de l’Ukraine

This is the original publication of the article, released in French to preserve the integrity of the exchange, its nuances, and its institutional context. An english version is available here.

Une parenthèse ukrainienne dans la tempête budgétaire

Un après-midi froid de novembre, le Sénat vit au rythme tendu de l’examen du Projet de loi de finances. Entre les rappels en séance, les arbitrages de dernière minute et une majorité introuvable à l’Assemblée nationale, les couloirs du Palais du Luxembourg ressemblent à une salle de crise. C’est dans ce contexte que Nadia Sollogoub, sénatrice de la Nièvre depuis 2017, nous reçoit avec Lyubov dans le Salon Victor-Hugo, une pièce attenante à l’hémicycle. Son téléphone ne cesse de vibrer, mais elle le pose avant de commencer l’entretien. « On est pris par le PLF, mais on ne peut pas décider que la guerre attendra », dit-elle simplement. Tandis que la machine institutionnelle s’emballe autour de nous, elle maintient un espace réservé à l’Ukraine, un dossier qu’elle suit quotidiennement depuis plusieurs années.

Une relation née tardivement, révélée par la guerre

Le lien de Nadia Sollogoub avec l’Ukraine s’est construit progressivement. Si ses origines familiales renvoient à un ensemble de cultures slaves, l’Ukraine n’y occupait pas une place particulière. Son premier séjour à Kyiv, lorsqu’elle était jeune adulte, lui donne un aperçu du pays, sans encore lui révéler toute sa complexité. Le véritable tournant intervient en 2020, lorsqu’elle devient présidente du groupe d’amitié France–Ukraine au Sénat. À mesure qu’elle rencontre des responsables ukrainiens, elle découvre un rapport au monde, à l’humour, à la sociabilité qui l’éloigne de ses références initiales. « Je me suis construit une ukrainité par contact », résume-t-elle. L’invasion du 24 février 2022 modifie le cadre de manière radicale. À l’aube, une vidéo lui parvient depuis Kyiv : on y voit Ludmyla Buimister, députée de la Verkhovna Rada et présidente du groupe d’amitié côté ukrainien, filmée depuis un abri, casquée, gilet pare-balles sur les épaules. La lumière tremble sur les murs, la voix se fait basse. Cette image la saisit : c’est le vrai tournant émotionnel, celui où la guerre quitte l’abstraction et entre dans son quotidien parlementaire. Le lien parlementaire devient soutien humain.

La diplomatie discrète du Sénat et le rôle central du groupe d’amitié France-Ukraine

Au Sénat, le groupe d’amitié France-Ukraine est devenu la principale interface du travail mené par Nadia Sollogoub sur la guerre. En tant que présidente, elle y organise les échanges réguliers avec Kyiv, coordonne avec les ministères et répond aux sollicitations venues des collectivités, des hôpitaux, des universités ou des associations. « On travaille énormément, mais sans caméra, sans tweet », résume-t-elle. Elle a choisi de concentrer son action sur les dimensions civiles (aide humanitaire, protection sociale, accompagnement des réfugiés) et laisse les questions militaires aux commissions spécialisées. Ce positionnement donne au groupe d’amitié un rôle central : il devient l’espace où se relient, se structurent et se renforcent des solidarités franco-ukrainiennes nombreuses, mais qui resteraient souvent dispersées sans cette coordination discrète.

Plusieurs actions liées à l’Ukraine transitent ainsi par le bureau de Nadia Sollogoub, qui intervient pour faciliter les contacts, orienter les acteurs et donner un cadre institutionnel à des projets déjà engagés. Certaines coopérations techniques en témoignent : depuis 2022, la SNCF apporte un appui soutenu aux chemins de fer ukrainiens  (expertise, matériel, soutien logistique) un dossier qu’elle suit de près. D’autres initiatives viennent du terrain, comme la formation à Aix-en-Provence de huit pompiers ukrainiens, portée par un Français installé à Odessa et appuyée par la sénatrice pour mobiliser collectivités et services de secours. Les écoles d’infirmiers et la Croix-Rouge, engagées dans la formation de soignants ukrainiens, trouvent également auprès d’elle un relais institutionnel utile. Ces actions, parfois discrètes lorsqu’on les observe séparément, ont des effets très concrets : renforcement de brigades de pompiers, soutien à des hôpitaux, aide à des écoles, montée en compétences de professionnels. Elles forment un ensemble d’engagements français auquel la sénatrice contribue à donner continuité et lisibilité.

L’engagement des collectivités, un pilier discret

Les collectivités jouent un rôle majeur dans le soutien à l’Ukraine, et Nadia Sollogoub suit attentivement la manière dont elles s’organisent pour agir. Le Sénat, rappelle-t-elle, est une institution conçue pour être en prise directe avec les territoires, et son rôle est aussi d’observer, d’accompagner et de comprendre les dynamiques locales. Elle note que communes, départements et régions prennent souvent des initiatives très concrètes : envoi de générateurs, aide à des écoles, accueil d’enfants ou projets culturels. « Les communes vont plus vite que les ministères », souligne-t-elle, mettant en avant leur capacité à décider rapidement et à mobiliser leurs réseaux.

Certaines villes structurent un engagement suivi. À Dijon, un réseau local, autour notamment de la figure d’Olha Mala, entretient des liens réguliers avec des partenaires ukrainiens, à travers des initiatives éducatives, culturelles ou associatives. Ailleurs, dans des communes plus petites, des conseils municipaux financent l’envoi de matériel de secours ou engagent des jumelages appelés à durer. En suivant ces actions et en s’assurant de leur cohérence avec les besoins exprimés depuis l’Ukraine, la sénatrice joue un rôle de veille institutionnelle qui complète l’action de l’État et permet à des collectivités de toutes tailles de contribuer de manière ciblée.

Les défis de la protection temporaire et de l’accueil en France

Depuis 2022, la sénatrice alerte régulièrement sur les limites du dispositif de protection temporaire activé par l’Union européenne pour accueillir les Ukrainiens. Pensé comme une mesure rapide et transitoire, il offre un premier niveau d’aide mais laisse de nombreuses failles. La première difficulté est administrative : le statut doit être renouvelé tous les six mois, un rythme difficile à tenir pour des préfectures déjà saturées. Beaucoup vivent ces démarches répétées comme une source d’inquiétude permanente, sans réelle visibilité sur les délais. À cela s’ajoutent des obstacles plus structurels. La reconnaissance des diplômes se heurte à des procédures lentes et fragmentées : infirmières, ingénieurs, enseignants ou spécialistes des technologies doivent reprendre des démarches depuis leur arrivée en France ou attendre longtemps pour obtenir une équivalence. L’accès aux aides sociales est également limité : l’allocation versée aux bénéficiaires de la protection temporaire est souvent insuffisante, les personnes en situation de handicap peinent à obtenir les prestations adaptées, et les personnes âgées ne peuvent bénéficier de l’allocation personnalisée d’autonomie. Ces lacunes laissent les publics les plus vulnérables dans une protection incomplète.

Ces difficultés finissent par produire un même effet : beaucoup de bénéficiaires renoncent à la protection temporaire et se tournent vers l’asile, non parce qu’ils s’y reconnaissent, mais parce que c’est devenu le seul moyen d’accéder à certains droits essentiels. « On pousse des gens vers un statut qui n’est pas fait pour eux », résume-t-elle. Pour donner un visage à cette réalité, elle sort une lettre de Yuri et Nina, un couple de retraités originaire de Donetsk, installé à Béthune. Ils racontent leur dernier passage à la préfecture d’Arras : autrefois, cinquante à soixante Ukrainiens s’y présentaient chaque jour pour renouveler leur statut, en novembre, ils n’étaient plus que neuf. La plupart des autres avaient déjà déposé une demande d’asile. En refermant la lettre, sa voix se voile légèrement : en quelques lignes, le couple dit l’épuisement d’un dispositif censé protéger et qui finit pourtant par pousser ses bénéficiaires, à bout de forces, vers une procédure qui n’est pas faite pour eux.

Pour y répondre, elle a porté un texte visant à mieux aligner les droits entre protection temporaire et asile, afin d’éviter ces basculements contraints et de redonner au dispositif sa cohérence initiale. Adopté au Sénat, il est désormais en attente d’examen à l’Assemblée nationale. Élue d’un département rural, elle rappelle enfin que l’accueil hors des grandes villes présente d’autres défis : mobilité réduite, isolement, démarches plus complexes. Pourtant, elle cite aussi des trajectoires qui montrent que l’intégration reste possible, comme celle d’une jeune Ukrainienne arrivée dans la Nièvre, qui a poursuivi ses études avant de devenir sa collaboratrice au Sénat. « Ces trajectoires comptent », insiste-t-elle.

L’enjeu du récit et l’Ukraine de demain

Dans la continuité de son engagement, Nadia Sollogoub insiste sur l’importance de montrer une Ukraine qui continue de créer, d’inventer et de se raconter autrement que par la guerre. Elle évoque les jeunes designers qui travaillent malgré les coupures d’électricité, les artistes qui réinterprètent les motifs traditionnels, les réalisateurs qui documentent la trajectoire du pays. Elle se souvient notamment d’une collection de mode cousue dans une cave, à la lampe torche, et présentée plus tard au Centre culturel d’Ukraine à Paris, un exemple parmi d’autres de cette créativité qui persiste malgré les coupures d’électricité et la guerre. Parmi les initiatives qui donnent cette visibilité, elle cite le Prix Nathalie Pasternak, organisé chaque année au Sénat à l’initiative de l’association Perspectives ukrainiennes. Elle a remis ce prix la veille de notre entretien : la dernière édition a distingué un documentaire consacré à Volodymyr Zelensky, offrant un regard plus nuancé et incarné sur son parcours.

Cette dimension culturelle nourrit une réflexion plus large sur l’avenir du pays. La sénatrice évoque la question démographique, l’inquiétude d’une jeunesse dispersée par la guerre, et la nécessité d’un rebond économique capable de favoriser les retours. Elle souligne que la France dispose d’atouts pour accompagner cette reconstruction : l’implication de ses collectivités, la capacité de ses institutions de formation, l’expertise de ses réseaux techniques. Le Sénat, moins exposé aux variations politiques que l’exécutif, peut inscrire ces liens dans le temps long et offrir une continuité diplomatique. « L’Ukraine fait déjà partie de l’Europe », affirme-t-elle. Il reste désormais à consolider les cadres qui permettront d’ancrer cette évidence.

Retour en séance

Une notification retentit. La sénatrice se lève : l’hémicycle la rappelle pour un vote. Elle rassemble ses dossiers et quitte le salon d’un pas rapide. Dans le couloir, le flux parlementaire reprend. Au milieu des chiffres, des lignes de crédits et des équilibres du budget, l’Ukraine demeure en arrière-plan, discrète mais constante, comme un fil qu’elle refuse de lâcher.

—-

Echoes from Ukraine / Valentin Jedraszyk & Luybov Smachylo

Leave a comment